Interview de Manuel Perreux, l'auteur de la bio sur Chris Cornell

Publié le par sly

J'étais allé faire un saut à la séance de dédicaces pour la sortie de livre sur Chris Cornell aux éditions Camion Blanc par Manuel Perreux au mois d'avril dans l'excellente librairie parallèles à Paris. L'occasion de discuter avec l'auteur pour la sortie d'un livre sur artiste peu connu en France. J'avais le sentiment de discuter avec un grand fan et j'ai proposé à Manuel une interview pour Seattle Sound. Malheureusement,  j'ai mis de côté le livre car j'ai été pas mal occupé ces derniers temps, notamment pour la rééducation de ma main droite. je ferais une petite chronique plus tard. Il me semblait qu'il était important de tenir un engagement et de faire quand même cette interview. J'aime beaucoup ce que dit Manuel sur cet artiste hors norme. C'est toujours un plaisir de découvrir en France, des livres sur le Seattle Sound. C'est aussi, laisser une trace de ces artistes dans le monde entier, par ce qu'il le mérite. 

Voici l'interview :

Sly (Seattle Sound) :  Manuel, pourrais-tu te présenter en nous parlant de ton métier, tes

différents ouvrages, ton webzine par exemple ?

Manuel : Je suis  journaliste dans  le domaine musical,  j'écris souvent sur l'histoire de la musique. Je gère aussi Tartine ta Culture, qui était à la base un blog, et qui est devenu une chaîne de podcasts il y a 5 ans. On fait des formats courts sur les reprises, sur les  chansons inspirées de fait réels, des chroniques assez narratives, et aussi des émissions thématiques, comme la Tarteam ou le Goûter. On essaye d'aborder la musique sans limite de genre ou d'époque, et ça nous permet de découvrir  toujours de nouvelles  choses. Et donc, je viens d'écrire mon premier livre, consacré à Chris Cornell.

 

Sly : Le Livre sur Chris Cornell que tu viens de publier aux éditons Camion Blanc est le premier sur l’artiste en France. Comment ce projet d’écriture est arrivé ? Est-ce une demande de l’éditeur ou un projet qui te tenait à cœur ?

Manuel : C'est une idée que j'ai eu il y a environ deux ans. J'étais très surpris de voir qu'après  la mort de Cornell en 2017, il n'y avait eu aucun ouvrage sur sa carrière, même aux États-Unis. Et même de son vivant, malgré sa notoriété, on savait peu de choses sur lui. Pourtant, je voyais régulièrement des gens qui avaient été marqués  par  la voix, le charisme de Cornell depuis  30 ans. Un auteur américain a finalement sorti une biographie  en 2020, et ça m'a fortement inspiré . Mais je voulais  faire un format différent, me pencher sur des aspects précis plutôt que de dérouler sa vie. En me replongeant dans sa musique, ses paroles, ses interviews,  je me suis dit qu'il y avait beaucoup à raconter, sur Seattle, sur sa façon de composer, ses opinions...Donc j'ai contacté plusieurs éditeurs, dont Camion Blanc qui a très vite été emballé par l'idée, et ça m'a encore plus motivé car c'est une référence sur les livres de rock. Ils m'ont laissé  une grande liberté pour construire le récit, et ça a été mon gros projet de 2021.

 

Sly : En parlant un peu avec toi lors de ta séance de dédicace de ton livre à l’excellente librairie Parallèles à Paris, j’ai eu le sentiment d’avoir à faire à un grand fan. C’est d’ailleurs ce qui m’a motivé à acheter ton livre. Comment est arrivé cette passion ? tu préfères l’artiste en solo, avec Soundgarden,… ?

Manuel : Oui, ça a été un grand plaisir de pouvoir présenter le livre chez Parallèles, j'ai vraiment eu le temps de parler avec les gens, qu'ils soient fans ou juste curieux, et j'ai eu des questions très variées.  J'aurais  pu en parler pendant des heures ! Je dirais  que Cornell est un artiste qui m'a fasciné quand j'étais  ado. Je me replongeais  dans le rock des 90s, une période que je n'ai malheureusement pas connu, et Soundgarden m'a fortement marqué, j'avais l'impression que rien ne leur ressemblait. C'était mystérieux, souvent sombre, parfois compliqué  mais étrangement abordable , instinctif. En plus , en tant que guitariste, j'ai découvert des rythmes surprenants, des accordages qui donnent un son puissant et mélodique. Donc j'ai d'abord écouté à l'usure leur grand classique, Superunknown, puis  des morceaux d'avant. À cette période là, son deuxième groupe, Audioslave, était encore en activité, donc j'ai aussi beaucoup écouté leurs trois albums, puis j'ai découvert ses projets solos. C'est très varié, mais on reconnaît toujours la patte Chris Cornell.  Et Soundgarden est sans aucun doute le cadre qui le met le mieux en valeur.

 

Sly : Quels sont tes albums préférés de l’artiste (en solo ou en groupe) et pourquoi ?

Manuel : En écrivant le livre, je me suis replongé dans des albums que je connaissais peu, que j'avais  écouté il y a des années.  Les premiers albums de Soundgarden sont un peu datés, mais  on y trouve plein de mélanges  étonnants, entre metal, punk, psyché et gothique. Ça a l'air bizarre comme ça,  mais il y a vraiment des pépites de composition.

Pour moi, Superunknown est intouchable, c'est l'album le plus abouti du groupe, et même du rock de Seattle. D'autres ont plus marqué bien sûr, mais  il est incroyablement complet. En plus de gros singles  comme « Black Hole Sun » ou « Spoonman », il y a des morceaux  épatants comme « 4th of July », « Limo Wreck » ou « Like Suicide ». Je pourrais presque citer toute la tracklist ! C'est le disque de Cornell qui vaut le plus le coup en tant qu'album, car il a une atmosphère rare.

Après, pour vraiment capter ce qu'était Soundgarden, et ce que Cornell pouvait faire au top de ses moyens, il faut écouter Badmotorfinger. Je le connaissais  surtout pour ses tubes « Rusty Cage » et « Outshined », mais  depuis que je l'ai redécouvert, je me dis qu'il  est encore plus représentatif du groupe et du son de l'époque. Il y a des performances vocales  qui me laissent  à chaque fois bouche bée , surtout « Slaves & Bulldozers » et « Searching with my Good Eye Closed ».

Coté Audioslave, c'est difficile, j'ai presque envie de faire un best of des  trois albums. Avec le recul, j'ai peut-être une préférence pour le deuxième, Out of Exile, car c'est le moment où le groupe va le mieux et sonne le plus naturel.

Et en solo, Euphoria Mourning est un excellent disque pop-rock, un de ces albums qu'on pourrait juger trop grand public, mais  qui est maîtrisé , rempli d'idées  intéressantes  et brillamment interprété. Et si vous voulez entendre un peu de tout ça, et que vous aimez l'acoustique, Songbook est un excellent exercice de style.

Sly :  beaucoup de gens n’ont pas appréciés le supergroupe avec Audioslave, jugé trop commercial. Pour les avoir vu, une fois en concert, Cornell rayonnait et sa voix sonnait encore très bien au début des années 2000. Qu’est ce que tu en pense de ce supergroupe ?

Manuel : Comme beaucoup de gens, Audioslave  était d'abord pour moi Chris Cornell avec les gars de Rage Against the Machine, et ça sonnait exactement comme ce qu'on pouvait attendre.  En fait, le souci d'Audioslave, c'est qu'ils  ont su faire des morceaux qui claquent, mais des albums inégaux , et qu'il  a manqué l'élément de surprise : ils ne pouvaient jamais rivaliser avec leurs groupes précédents.

Le premier album est un gros défouloir, et en même temps assez prévisible.  Je l'ai énormément écouté, et clairement la production survitaminée, et le manque d'originalité , surtout au niveau des riffs, ont joué contre lui. Paradoxalement, c'est une période où Cornell ne va pas bien, il a pas mal de problèmes privés, mais c'est lui le point fort de l'album, lui qui donne le plus. Il faut presque s'écarter des gros titres efficaces  pour apprécier Audioslave, prendre plutôt « Shadow on the Sun » ou « The Last Remaining Light ».

Au fur et à mesure, la recette marchait de mieux en mieux, ils avaient moins besoin d'être bourrins pour faire des  titres prenants. « Doesn't Remind Me » est pour moi un des meilleurs exemples. Avec le temps, ils étaient en train de trouver leur équilibre , leur son, et ils s'affirmaient en tant que groupe  engagé, notamment en allant faire un concert gratuit à Cuba.

Le dernier opus, Revelations, est peut-être le mieux produit, montre un vrai propos  et une direction pour la suite. Malheureusement, le groupe était déjà séparé à sa sortie. Et je pense qu'avec le recul, Audioslave n'a pas vécu assez longtemps pour que le public s'en rappelle  comme plus qu'un supergroupe un peu frustrant du début des années  2000. Pourtant Cornell  était régulièrement impressionnant, et en live, ils avaient une énorme énergie.

Sly : Chris est décédé après un concert de Soundgarden. Parfois j’ai le sentiment, qu’il voulait que l’on garde d’abord le souvenir de Soundgarden avant le reste de sa carrière. Et toi que t’évoque cette triste soirée à Détroit ?

Manuel : D'abord beaucoup d'incompréhension, j'avais eu beaucoup de mal à me dire qu'il avait mis fin à ses jours à 52 ans, juste après un concert. Difficile de dire s'il avait prévu son coup, il termine comme à chaque fois sur « Slaves & Bulldozers » en y ajoutant comme souvent un passage d'un morceau de Led Zeppelin, « In my Time of Dying », « au moment de mourir ». Peut-être que cette fois, ça l'a marqué un peu plus que d'habitude. J'essaye de ne pas surinterpréter. Maintenant, je me dis que la dépression ne l'a jamais vraiment lâché, qu'il vivait avec depuis qu'il était gamin et qu'il a appris à vivre malgré ça.

Ça a été un choc pour beaucoup de gens, parce que ça a ramené des douleurs  d'autrefois, les décès de Cobain ou Staley, les souvenirs d'une époque. Mais j'espère que l'on ne va pas juste se dire « encore un destin tragique », et c'est ce que j'ai essayé d'aborder dans le livre : au lieu de me concentrer sur la fin, je préfère me dire qu'il a réussi à survivre jusque-là. Il a eu une jeunesse chaotique, il a vu pas mal de personnes mourir autour de lui, mais il a su avancer, trouver les mots pour avancer et soutenir les autres.  Sa lutte existentielle a duré autant que possible.

Sly : Qu’est ce qu’il reste de l’héritage de Chris Cornell à ton avis ?

Manuel : Il a un statut assez particulier, à la fois une rock star respectée, et en même temps une personnalité assez méconnue. Je pense que sa voix et son physique ont fait de lui une icône qu'on n'oublie  pas, mais  dans le grunge, dans  le rock en général, il a toujours été un peu au second plan. Entre autres, parce qu'il était plutôt reservé et se méfiait du succès, aussi parce que ses  talents étaient assez inimitables.  Qui peut vraiment chanter comme Chris Cornell ?

Je pense qu'il restera toujours un cas à part, une légende mystérieuse, le comble pour un gars très terre-à-terre, qui ne supportait pas qu'on prenne les  stars de la musique pour des dieux.

Sly : Enfin est ce que tu as vu l’artiste en concert ?

Manuel : Avec un énorme regret, je n'ai pas eu cette chance. Soundgarden n'existait plus quand je les ai connu, je n'ai pas  pu voir Audioslave , et même plus tard j'ai raté les passages de Soundgarden au Zénith de Paris puis au Hellfest. J'ai du me contenter de me replonger dans des dizaines de lives sur Youtube. Et je comprends pourquoi on disait qu'il était aussi  intense  devant 10 personnes que devant 3 000.

le site tartine ta culture : https://tartinetaculture.wordpress.com/

Chris Cornell aux éditions camion blanc : http://www.camionblanc.com/detail-livre-chris-cornell-1519.php

 

Commenter cet article